Shulem Deen
Celui qui va vers elle ne revient pas
Je viens de finir
avec délectation la lecture du livre de Shulem Deen « Celui qui va vers
elle [l'hérésie] ne revient pas » dans lequel l'auteur raconte son parcours
depuis les bancs du héder[1] de la communauté
hassidique de Skver[2], jusqu'à sa rupture avec
le Judaïsme. Un vrai régal que ce livre, subtil, intelligent, émouvant, et
surtout non dénué d'humour et même d'une dose d'affection pour le monde qu'il a
quitté. En dépit de toutes les souffrances que lui ont fait subir ses paires
notamment pour accéder à ses enfants. En bien des points j'ai lu en ce livre
une similitude avec ma propre histoire. Ce livre m'inspire donc pour qu'un jour
je raconte à mon tour la mienne.
Je garde néanmoins une certaine amertume, voir même
une certaine tristesse, pour éviter d'être trop long je vais en résumer l'idée ;
je déplore que le monde hassidique principalement et globalement le monde juif
orthodoxe soit à ce point incapable de montrer la beauté de la Torah, la
richesse de son enseignement, la véritable dimension universelle des études
juives jusque dans ce qu'elles ont de plus interne à l'univers de la Halakha.
Shulem Deen justifie sa rupture au nom du fait qu'il a
cessé d'y croire. Et c'est précisément ici que ma démarche se distance de la
sienne. Avant de poursuivre il me faut impérativement préciser ceci : la
question de la foi n'a aucun intérêt dans ce que je dis, pour moi, aussi
extravaguant que cela puisse paraître, la rupture de la foi n'est en rien ni
une excuse, ni un critère pouvant justifier son lien d'attachement ou non avec
le Judaïsme. Et encore plus s'agissant du cœur de l'étude de la Torah.
Shulem Deen
montre combien il a été affecté, lorsqu'il a découvert que la science affirmait
des découvertes sur le mécanisme de la création qui range le texte biblique au
rang de fables illustrées pour petits enfants. Et pour moi cette démarche, cher
au monde orthodoxe, de tenter vaille que vaille de fournir une vérité scientifique
et empirique à la Torah non seulement est ridicule mais en plus tourne le dos
radicalement au cœur de la foi monothéiste. Une telle démarche relève selon moi
d’un véritable blasphème ! [Comme si pour paraphraser Soloveichik Dieu
pourrait un jour être démontré dans un laboratoire ! Le jour où l’on
prétendra démontrer que dieu est l'origine de la matière à partir du carbone
14, alors il faudra démontrer qui est le créateur de ce dieu imposteur. La foi Monothéiste est
radicalement opposé à cette démarche créationniste, en tant qu'elle affirme que
Dieu est antérieur en principe au paradigme même de la Création et de son
processus. Si Dieu est l'origine de tout c'est précisément parce qu'Il n'a
aucun lien de nature avec la création et même avec son processus d'évolution[3]. C’est
pourquoi, ainsi que s’accorde toute la scolastique, la foi Monothéiste n’a
aucun problème avec la théorie d’Aristote sur l’éternité du monde !]
La fin de l'ouvrage de Shuleem Deen résume véritablement
le cœur du dilemme. Il écrit :
« Bouleversé par ma perte de la
foi, par mon incapacité à ressentir la beauté de la Amida[4], par la rupture définitive
que j'avais opéré avec ces textes et ces rituels qui m'avaient été si chers, je
laissais alors couler mes larmes sur les pages du livre de prières ouvert
devant moi. »
Ce que montre
l'auteur c'est qu'en désespoir de trouver le chemin de la dveikout (de la ferveur) de la prière, de l'émotion qu'elle est
censée produire, il va trouver au tréfonds de lui-même l'émotion dans la désolation
de la rupture de celle-ci. C'est donc la non émotion qui produit
ici le cœur qui continue de battre pour une prière qui a depuis longtemps cessé
de faire sens pour lui.
Ici je me
revois moi-même lorsque le jour de Kippour nous répétions comme un mantra le
rituel du « al hèt » nécessaire
à l'absolution des péchés, puisqu'il est question de mentionner ses fautes. Et
là pour éviter que chacun fasse un rituel trop personnel, les rabbins ont fixé,
à mon avis à tort, là aussi un texte commun à tous, comme si les fautes de
l'homme devant Dieu entraient elles aussi dans un rituel organisé et et
devaient inclure le rituel synagogal. Et ce, en dépit de ce que dit le
psalmiste « Heureux celui dont les péchés
sont cachés » (Psaume 32, 1). Il y avait là une rupture avec la
singularité de l'être, avec la démarche personnelle de chacun, et peut-être une
remise en question de l’âme de la pratique juive, j’y reviendrai une autre fois
pour mieux m’expliquer là dessus.
Et pourtant, pour ce qui concerne ma propre
expérience, rien de tout cela aussi difficile que ça ait pu l'être, n'a pu me
retirer ma ferveur du limoud, lorsque l'on goûte en profondeur
à l'univers unique, qui n'a en ce monde aucune équivalence, de l'étude du
Talmud et des commentateurs, on saisit que rien ne saurait ébranler non pas
notre foi en un créateur, tout cela relève de l'intime, mais notre foi en notre
cœur qui bat selon les humeurs d'Abayé et Rabba, du Rambam et du Ketsot
hahoshen !
Lisez ce livre une perle… qui mérite même d'être lu
et relu ! Merci à toi Shulem Deen de l'avoir fait et j'espère qu'on aura
l'occasion d'en discuter un jour de vive voix.
Hervé élie Bokobza
[1] Yéchiva
pour petits enfants.
[2] Branche
de la dynastie hassidique de Tchernobyl.
[3] C'est
même le grand Thomas d'Aquin qui l'affirme dans le Somme théologique (question
43), je traiterai de ce sujet dans un livre que j'espère publier un jour
[4] Point
culminant de la prière juive qu'on doit lire en silence debout les pieds
joints.