« Un fou dévot (‘hassid
choté), qui voit une femme se noyer, se dit : “Ce n’est pas dans nos
mœurs de voir la nudité des femmes, je ne peux donc pas la sauver !” ».
Talmud (Sota
21, b)
Impact et influence du religieux dans
la société israélienne
Les derniers événements qui se sont déroulés en Israël,
remettant en cause la mixité dans l’espace public, ont révélé une
radicalisation inquiétante de la société israélienne.
Le fait que la plupart des instances rabbiniques, en
Israël où ailleurs, se soient clairement démarqués de ces dérives
inacceptables, est certes salutaire, mais ne dit rien sur le fond du problème.
Rien dans les condamnations, que j’ai pu lire, ne se distance clairement du
discours idéologique de ces fous dévots.
Les autorités rabbiniques veulent bien dénoncer les
méthodes sauvages de ces intégristes, mais se montrent beaucoup moins alerte
quand il s’agit de parler du fondement idéologique de leurs discours. J’ai pu
lire par exemple sur internet un article reprenant le propos d’un rabbin francophone,
qui, tout en reconnaissant qu’il faille tenir compte des circonstances, dans
lesquelles hommes et femmes sont séparés, sans nuire aux usages et aux libertés
de chacun, nous explique que séparer les
hommes et les femmes relève bien d’une loi religieuse, qu’il comprend, par conséquent, que certains veuillent les séparer dans un autobus, même si la loi juive ne
l’exige pas. Si de tels propos n’excuse pas la violence de ces intégristes, ils
favorisent un glissement pouvant tout au moins laisser place à de telles
revendications.
Aussi, avant de se demander si oui ou non la Halakha impose une stricte séparation
entre les hommes et les femmes, quelle qu’en soient les circonstances, il
convient de s’interroger sur ce glissement inacceptable dans la société
israélienne, nuisible au droit fondamentale des femmes de circuler librement
dans l’espace public.
Le conflit entre religieux et non religieux en Israël ne
date pas d’hier, quand bien même nous nous devons de comprendre aussi le monde pratiquant
et être tolérant, il n’en demeure pas moins que ce respect doit rester limité
au cadre privée et sûrement pas en imposant la norme religieuse à l’ensemble de
la société.
Le problème ne se situe pas, en premier lieu, sur l’aspect
archaïque des mœurs religieuses, mais dans leur capacité à accepter un monde
différend du leur ! L’État d’Israël étant fondé, depuis ses origines, sur
un principe totalement égalitaire, comment tolérer qu’il en soit autrement pour
satisfaire les fantaisies de quelques orthodoxes ?
Position de
la Halakha et du Judaïsme Rabbinique
Une fois ces bases établies, et qu’il est clair pour nous
que la position religieuse n’a pas à interférer la liberté des gens, alors il
peut être intéressant de nous pencher sur la position de la Halakha ce domaine. Il ne s'agit pas
pour nous de faire dans l'apologie des préceptes religieux, largement dépassés
pour la plupart, mais de montrer à partir de la cohérence interne du Judaïsme
combien une telle revendication n'a absolument aucun fondement.
Tout ce qui a été dit au sujet de la séparation hommes
femmes, s’adresse uniquement aux hommes, pour qui, il appartient de ne pas se
laisser aller à la tentation du fait de la présence des femmes. C’est ainsi que
le Talmud (Baba Batra 57, b) nous dit
qu’il est interdit de voir les femmes lorsqu’elles vont laver leurs linges aux
bords des rivières, ce sont aux hommes, qui, par respect pour les femmes,
doivent faire attention à ne pas se trouver dans de telles circonstances, mais
pas aux femmes pour qui rien n’interdit d’aller laver leurs vêtements, quand
bien même il est à craindre qu’elles soient reluquées par des hommes ! On
pourrait multiplier les exemples abondants dans ce sens. La petite histoire raconte
que le rav Kook (1865-1936) dit un jour à certains ultra-orthodoxes, qui
dénonçaient la mixité dans les plages d'Israël ; « Mais comment le
savez-vous ? Vous y êtes allé vous ? Et c'est permis ça dans la Halakha ? ».
De la
mehitsa
Il est vrai que les rabbins ont instauré de séparer les
hommes et les femmes lors de manifestations publiques. Usage que le Talmud
déduira d’un verset qui nous dit : « En ce jour, il y aura un grand
deuil à Jérusalem, […] chaque famille à
part […] et leurs femmes à part »
(Zacharie 12, 11-13), cet usage
reste, néanmoins circonscrit aux réunions publics. À l’instar du balcon qu’on
fit construire au-dessus du Temple pour les femmes, lorsqu’on procédait aux
réjouissances de la fête de Souccot (Souca 51, b). Ou encore lors de
conférences et autres manifestations publiques où le Talmud rapporte que deux
sages, Abayé et Rava (IIIe siècle), avaient l’habitude d’installer une
séparation entre les hommes et les femmes (Kedoushin
81, a). Il ne s’agit absolument pas d’étendre cet usage, et d’interdire la
mixité, dans les lieux de passages, tels que la rue ou les bus, et encore moins
dans les lieux privés.
Par ailleurs, sans discuter d’une évolution possible de
ces dispositions, celles-ci n’ont jamais été motivés par un quelconque interdit
de voir les femmes ! C’est ainsi que les plus grands décisionnaires, dont le
célèbre Rabbin Moshé Feinstein (1895-1986), considéré comme la plus grande
autorité du judaïsme orthodoxe de son temps, précise que l’usage de la méhista n’est pas lié à l’interdit de
voir les femmes, sinon on aurait interdit la mixité aussi dans la rue !
Ainsi, il n’a jamais été interdit aux femmes indigentes de
se regrouper à l’intérieur même de la synagogue, lors de la quête. Ceci est
d’autant plus vrai que Selon la Halakha
la femme peut faire partie des sept montés du shabbat à la Torah, (Shoulhan Aroukh Orah Haïm 283, 3), ce
qui prouve que rien n’interdit aux femmes de pénétrer dans l’enceinte de la
synagogue y compris en présence des hommes. Il en est de même pour les mariages
rien n’impose une séparation, du fait que la salle où se déroule la fête sera
considérée comme un lieu privé. (Cf. Igrot Moshé, Orah Haïm I, 41 - V, 11-12 - Yoreh
déah IV, 24).
L’évolution
des mœurs permet de revoir ces dispositions.
Il est vrai, en revanche, que selon R. Juda
b. Samuel hé Hassid (1150-1217), si les hommes et les femmes sont réunis lors
d’un mariage, il ne faut pas prononcer : que nous sommes dans un lieu où règne la joie, dans les actions de
grâce, d’après le repas, du fait qu’il ne peut y avoir de véritable joie dans
un endroit enclin à la « débauche » (du fait de la mixité), (Sefer Hassidim paragraphes 393, 1120). Opinion
rapportée par la plupart des décisionnaires [Cf. entre autre R. Yoël Sirquiss (1561-1640), le Baït ‘Hadash ou encore R. Samuel b.
Ouri Sharga Peivoush (mort en 1703), Beth
Shemouel sur Even Hezer 62, 11].
Il faut toutefois rappeler qu’une lecture objective des
textes rabbiniques sur le sujet montre que toutes ces dispositions n’ont été
dite que dans les époques où les mœurs exigeaient une stricte séparation entre
les hommes et les femmes, de sorte qu’il était peu fréquent de rencontrer des
femmes, même dans l’espace public, c’est pourquoi les rabbins se sont montrés
vigilants, afin d’éviter toutes dérives.
Pour ce qui est, en revanche des époques, tel que la
nôtre, où l’usage fait que les hommes et les femmes se retrouvent fréquemment
dans les lieux publics, croiser une femme relève d’une telle banalité qu’il n’y
a plus lieu de craindre à quoi que ce soit. À l’instar d’un médecin, pour qui
nous disons, que du fait qu’il est appliqué à son travail, il ne lui sera pas
interdit de consulter un patient du sexe opposé. (Cf. R. S. Braun, Shéarim
metsouïanim be Halakha, 152, 8). C’est ainsi que les plus grands
décisionnaires, tel que R. Mardoché Yaffé (1530-1612), ont affirmé, déjà en
leur temps, que du fait que de nos jours les hommes et les femmes partagent
l’espace commun, l’habitude étant une seconde nature, il ne sera plus interdit
de se trouver en présence des femmes (Levoush,
recueil des coutumes, note 36). Un des grands
Maître du Hassidisme, issue de la plus pure orthodoxie, qui ne peut absolument
pas être taxé de faire dans la réforme, R. Tsvi Elimelech Shapira (1783-1841), retiendra
l’opinion du Levoush contre les positions du Sefer Hassidim (Derekh
Pkoudékha, Loi négative 35, 9).
C’est aussi pour cette même raison que
l’auteur du Aroukh hashoulhan, R.
Yihiel Epstein (1829-1902), écrit que du fait de l’habitude de voir les femmes
les cheveux découverts, il ne faut plus considérer les cheveux des femmes
mariées comme relevant de la « nudité », au point d’interdire la
lecture du Shéma en leurs présences (Orah haïm 75, 7).
Le fait qu’une certaine frange du monde orthodoxe se soit
montré plus radicale que ne l’exige la loi, on le voit notamment du fait que la
plupart des mariages orthodoxes sont séparés, ne saurait justifier, y compris
d’un point de vue religieux, d’imposer une telle exigence aux autres et encore
plus en s’employant à de telles violences !
Hervé élie
Bokobza