lundi 9 janvier 2012

Des dérives religieuses en Israël au sujet de la mixité

 
« Un fou dévot (‘hassid choté), qui voit une femme se noyer, se dit : “Ce n’est pas dans nos mœurs de voir la nudité des femmes, je ne peux donc pas la sauver !” ».
Talmud (Sota 21, b)


Impact et influence du religieux dans la société israélienne

Les derniers événements qui se sont déroulés en Israël, remettant en cause la mixité dans l’espace public, ont révélé une radicalisation inquiétante de la société israélienne.

Le fait que la plupart des instances rabbiniques, en Israël où ailleurs, se soient clairement démarqués de ces dérives inacceptables, est certes salutaire, mais ne dit rien sur le fond du problème. Rien dans les condamnations, que j’ai pu lire, ne se distance clairement du discours idéologique de ces fous dévots.

Les autorités rabbiniques veulent bien dénoncer les méthodes sauvages de ces intégristes, mais se montrent beaucoup moins alerte quand il s’agit de parler du fondement idéologique de leurs discours. J’ai pu lire par exemple sur internet un article reprenant le propos d’un rabbin francophone, qui, tout en reconnaissant qu’il faille tenir compte des circonstances, dans lesquelles hommes et femmes sont séparés, sans nuire aux usages et aux libertés de chacun, nous explique que séparer les hommes et les femmes relève bien d’une loi religieuse, qu’il comprend, par conséquent, que certains veuillent les séparer dans un autobus, même si la loi juive ne l’exige pas. Si de tels propos n’excuse pas la violence de ces intégristes, ils favorisent un glissement pouvant tout au moins laisser place à de telles revendications.

Aussi, avant de se demander si oui ou non la Halakha impose une stricte séparation entre les hommes et les femmes, quelle qu’en soient les circonstances, il convient de s’interroger sur ce glissement inacceptable dans la société israélienne, nuisible au droit fondamentale des femmes de circuler librement dans l’espace public.

Le conflit entre religieux et non religieux en Israël ne date pas d’hier, quand bien même nous nous devons de comprendre aussi le monde pratiquant et être tolérant, il n’en demeure pas moins que ce respect doit rester limité au cadre privée et sûrement pas en imposant la norme religieuse à l’ensemble de la société.

Le problème ne se situe pas, en premier lieu, sur l’aspect archaïque des mœurs religieuses, mais dans leur capacité à accepter un monde différend du leur ! L’État d’Israël étant fondé, depuis ses origines, sur un principe totalement égalitaire, comment tolérer qu’il en soit autrement pour satisfaire les fantaisies de quelques orthodoxes ?

Position de la Halakha et du Judaïsme Rabbinique

Une fois ces bases établies, et qu’il est clair pour nous que la position religieuse n’a pas à interférer la liberté des gens, alors il peut être intéressant de nous pencher sur la position de la Halakha ce domaine. Il ne s'agit pas pour nous de faire dans l'apologie des préceptes religieux, largement dépassés pour la plupart, mais de montrer à partir de la cohérence interne du Judaïsme combien une telle revendication n'a absolument aucun fondement.

Tout ce qui a été dit au sujet de la séparation hommes femmes, s’adresse uniquement aux hommes, pour qui, il appartient de ne pas se laisser aller à la tentation du fait de la présence des femmes. C’est ainsi que le Talmud (Baba Batra 57, b) nous dit qu’il est interdit de voir les femmes lorsqu’elles vont laver leurs linges aux bords des rivières, ce sont aux hommes, qui, par respect pour les femmes, doivent faire attention à ne pas se trouver dans de telles circonstances, mais pas aux femmes pour qui rien n’interdit d’aller laver leurs vêtements, quand bien même il est à craindre qu’elles soient reluquées par des hommes ! On pourrait multiplier les exemples abondants dans ce sens. La petite histoire raconte que le rav Kook (1865-1936) dit un jour à certains ultra-orthodoxes, qui dénonçaient la mixité dans les plages d'Israël ; « Mais comment le savez-vous ? Vous y êtes allé vous ? Et c'est permis ça dans la Halakha ? ».

De la mehitsa

Il est vrai que les rabbins ont instauré de séparer les hommes et les femmes lors de manifestations publiques. Usage que le Talmud déduira d’un verset qui nous dit : « En ce jour, il y aura un grand deuil à Jérusalem, […] chaque famille à part […] et leurs femmes à part » (Zacharie 12, 11-13), cet usage reste, néanmoins circonscrit aux réunions publics. À l’instar du balcon qu’on fit construire au-dessus du Temple pour les femmes, lorsqu’on procédait aux réjouissances de la fête de Souccot (Souca 51, b). Ou encore lors de conférences et autres manifestations publiques où le Talmud rapporte que deux sages, Abayé et Rava (IIIe siècle), avaient l’habitude d’installer une séparation entre les hommes et les femmes (Kedoushin 81, a). Il ne s’agit absolument pas d’étendre cet usage, et d’interdire la mixité, dans les lieux de passages, tels que la rue ou les bus, et encore moins dans les lieux privés.

Par ailleurs, sans discuter d’une évolution possible de ces dispositions, celles-ci n’ont jamais été motivés par un quelconque interdit de voir les femmes ! C’est ainsi que les plus grands décisionnaires, dont le célèbre Rabbin Moshé Feinstein (1895-1986), considéré comme la plus grande autorité du judaïsme orthodoxe de son temps, précise que l’usage de la méhista n’est pas lié à l’interdit de voir les femmes, sinon on aurait interdit la mixité aussi dans la rue !

Ainsi, il n’a jamais été interdit aux femmes indigentes de se regrouper à l’intérieur même de la synagogue, lors de la quête. Ceci est d’autant plus vrai que Selon la Halakha la femme peut faire partie des sept montés du shabbat à la Torah, (Shoulhan Aroukh Orah Haïm 283, 3), ce qui prouve que rien n’interdit aux femmes de pénétrer dans l’enceinte de la synagogue y compris en présence des hommes. Il en est de même pour les mariages rien n’impose une séparation, du fait que la salle où se déroule la fête sera considérée comme un lieu privé. (Cf. Igrot Moshé, Orah Haïm I, 41 - V, 11-12 - Yoreh déah IV, 24).

L’évolution des mœurs permet de revoir ces dispositions.


Il est vrai, en revanche, que selon R. Juda b. Samuel hé Hassid (1150-1217), si les hommes et les femmes sont réunis lors d’un mariage, il ne faut pas prononcer : que nous sommes dans un lieu où règne la joie, dans les actions de grâce, d’après le repas, du fait qu’il ne peut y avoir de véritable joie dans un endroit enclin à la « débauche » (du fait de la mixité), (Sefer Hassidim paragraphes 393, 1120). Opinion rapportée par la plupart des décisionnaires [Cf. entre autre R. Yoël Sirquiss (1561-1640), le Baït ‘Hadash ou encore R. Samuel b. Ouri Sharga Peivoush (mort en 1703), Beth Shemouel sur Even Hezer 62, 11].

Il faut toutefois rappeler qu’une lecture objective des textes rabbiniques sur le sujet montre que toutes ces dispositions n’ont été dite que dans les époques où les mœurs exigeaient une stricte séparation entre les hommes et les femmes, de sorte qu’il était peu fréquent de rencontrer des femmes, même dans l’espace public, c’est pourquoi les rabbins se sont montrés vigilants, afin d’éviter toutes dérives.

Pour ce qui est, en revanche des époques, tel que la nôtre, où l’usage fait que les hommes et les femmes se retrouvent fréquemment dans les lieux publics, croiser une femme relève d’une telle banalité qu’il n’y a plus lieu de craindre à quoi que ce soit. À l’instar d’un médecin, pour qui nous disons, que du fait qu’il est appliqué à son travail, il ne lui sera pas interdit de consulter un patient du sexe opposé. (Cf. R. S. Braun, Shéarim metsouïanim be Halakha, 152, 8). C’est ainsi que les plus grands décisionnaires, tel que R. Mardoché Yaffé (1530-1612), ont affirmé, déjà en leur temps, que du fait que de nos jours les hommes et les femmes partagent l’espace commun, l’habitude étant une seconde nature, il ne sera plus interdit de se trouver en présence des femmes (Levoush, recueil des coutumes, note 36). Un des grands Maître du Hassidisme, issue de la plus pure orthodoxie, qui ne peut absolument pas être taxé de faire dans la réforme, R. Tsvi Elimelech Shapira (1783-1841), retiendra l’opinion du Levoush contre les positions du Sefer Hassidim (Derekh Pkoudékha, Loi négative 35, 9).



C’est aussi pour cette même raison que l’auteur du Aroukh hashoulhan, R. Yihiel Epstein (1829-1902), écrit que du fait de l’habitude de voir les femmes les cheveux découverts, il ne faut plus considérer les cheveux des femmes mariées comme relevant de la « nudité », au point d’interdire la lecture du Shéma en leurs présences (Orah haïm 75, 7).

Le fait qu’une certaine frange du monde orthodoxe se soit montré plus radicale que ne l’exige la loi, on le voit notamment du fait que la plupart des mariages orthodoxes sont séparés, ne saurait justifier, y compris d’un point de vue religieux, d’imposer une telle exigence aux autres et encore plus en s’employant à de telles violences !


Hervé élie Bokobza