JUDAISME ET HOMOSEXUALITE
Des réponses à vos questions en matière de Halakha, loi juive, et homosexualité, dans un article par Hervé élie Bokobza, de formation talmudique et rabbinique et auteur de nombreux ouvrages, décembre 2012.
Hervé élie Bokobza est né en 1967 à Boulogne-Billancourt. Après une formation supérieure talmudique et rabbinique en France, aux Etats-Unis et en Israël, il a publié quatre ouvrages en hébreu consacrés au Talmud et aux Sages d’Israël − ouvrages salués par les plus hautes autorités religieuses juives. Il est enseignant et conférencier à Paris auprès de plusieurs centres d'études juives et universitaires. Parmi ses publications il est l'auteur de "L'Autre l'image de l'étranger dans le Judaïsme"
Homosexualité et Halakha
Par Hervé élie
BOKOBZA
Décembre 2012
Entrée en matière
Le point de vue des religions en général et du Judaïsme en particulier
au sujet de l’homosexualité est connu, il ne m’appartient pas ici d’en discuter
les positions autant archaïques que dépassées. Il ne s’agit pas non plus de
porter ici une quelconque critique à l’endroit des religions et plus
particulièrement du judaïsme sur ce sujet mais de dégager une réflexion
objective, à partir des sources juives, permettant de porter sur l’homosexualité
et sur l’homosexuel un regard beaucoup moins rigide qu’il n’y paraît a priori.
Il est en effet salutaire d'articuler une évolution de l'intérieur même
des textes religieux, afin de montrer que même d'un point de vu théologique ces
textes disent autres chose que la radicalité que nous servent les
fondamentalistes de tous bords. Lévinas disait prendre le Talmud pour une
pensée très haute[1].
Il ne peut bien évidemment être soupçonnable de faire dans l'apologie de la
« lapidation » de la femme
adultère !
Aussi ne plaquons pas sur ces textes une lecture du XXIe siècle, nos
sociétés ont mis des siècles à évoluer, il est tout à fait normal que les
religions se soient inscrites dans un langage et une approche conformes à leur
temps ! La question ne se situe pas tant au niveau des sources elles-mêmes,
pour le moins dépassées, mais se pose davantage dès lors que l’on cherche à
considérer ces écrits comme participant de la nature même de l’enseignement
religieux. Ceci afin de se donner bonne conscience en se confortant dans une
quelconque légitimité à vouloir condamner l’autre, que ce soit pour ses
pratiques, en l’occurrence, ou pour ses origines.
1. Distinguer la question du
droit au mariage et à l’adoption de celle liée à l’homosexualité
Avant d’aller plus en avant il me paraît nécessaire de dissiper un
malentendu. Le débat qui est mis en avant aujourd’hui porte uniquement sur le droit au mariage pour
tous et à l’adoption des homosexuels, il n’est pas question de discuter du
droit à vivre son homosexualité, principe admis dans nos sociétés, lesquelles
reconnaissent en plus toutes formes d’homophobies comme un délit, aussi
condamnable que toutes autres discriminations.
Aussi à mon sens il y a une forme d’hypocrisie
à faire entendre des « représentants »
des religions sur ce terrain. Il est certes bon signe en démocratie que tous
puissent s’exprimer sur les grands sujets de sociétés, à ce stade les « représentants »
des religions ont aussi leur mot à dire. Je ne vois ici aucune contradiction
avec la loi de 1905. Il n’en demeure pas moins que, quelle que soit leur bonne
foi, leurs positions, en l’occurrence, s’avèrent forcément influencées par les
textes religieux, dont ils se revendiquent, c’est d’ailleurs au nom même de
cette représentation qu’on fait appel à eux. Or, si l’on s’en tient uniquement
aux textes des trois religions monothéistes, celles-ci se contentent de
condamner l’homosexualité. Rien dans les textes ne discute sur le droit au
mariage, dans un cadre civil, des homosexuels[2], et
encore moins sur la question de l’adoption.
Certes, une lecture rigoureuse de ces textes permet un certain
dépassement, il n’en demeure pas moins qu’une telle démarche ne saurait servir
de grille de lecture pour ce qui est de légiférer dans le cadre de la laïcité.
Quant à savoir s’il est pensable de faire évoluer les textes religieux, encore
faut-il en avoir la volonté, or, sur tous les discours que j’ai pu lire sur la
question, le constat montre davantage une volonté de retour en arrière, plus
qu’une réelle prise en compte de l’évolution de nos sociétés[3].
Le mariage en Mairie se situe en dehors du champ religieux, il n’offre
pas davantage qu’un cadre administratif, contractuel et légal, d’un point de
vue des institutions laïques, il n’est pas là pour se substituer au mariage
religieux. Ainsi, sachant que les religions interdisent l’homosexualité,
purement et simplement, en quoi le point de vue des religions peut-il apporter
sur ce terrain une valeur ajoutée ?
Il en est de même de l’adoption, on peut discuter sur l’éventuelle
nécessité pour un enfant d’avoir des parents de sexes opposés, mais on ne peut
faire intervenir au débat des positions issues des religions. Je n’ai là encore
trouvé à ce jour aucun texte religieux qui discute de ce sujet, et pour
cause ; l’homosexuel, ainsi que nous le verrons plus loin, n’est pas perçu
dans la Bible comme une catégorie spécifique.
[De plus, du point de vue du Judaïsme, le fait d’adopter un enfant,
selon les conditions imposées par les textes de la halakha (législation rabbinique), relève d’une mitsva de la Torah, qui participe du commandement « croissez et multipliez » [4] (Genèse 1, 28). Cette mitsva,
tout comme celle d’avoir des enfants, s’incombe à tous[5] sans
rapport avec leur orientation sexuelle. Prétendre que l’homosexuel vit dans le
péché ne le dispense nullement de ses obligations religieuses y compris sur le
terrain de la procréation, voir le cas échéant d’adopter.]
Tout débat sur la question de l’adoption ne peut
donc être fondé que sur des principes totalement laïques, qu’ils soient d’ordre
psychologique, sociologique etc… mais nullement s’appuyer sur ce que disent les
religions de l’homosexualité.
2. Interdits bibliques
relatifs à l’homosexualité
Si d’une manière générale tous les interdits sexuels sont qualifiés d’abominations[6], du fait
que la Torah le répète spécifiquement concernant l’homosexualité, on comprend
qu’elle lui prête une abomination
particulière[7].
Ainsi, dans le livre du Lévitique la Torah qualifie le fait qu’un homme
couche avec un autre homme d’abomination[8] : « Tu
ne coucheras point avec un mâle, comme on couche avec une femme, c'est une abomination » (Lévitique 18, 22). Interdit
qui, à l’époque où les condamnations à mort étaient appliquées, entraînait la
peine capitale, comme on peut le lire ici : « Si un homme couche avec
un homme comme on couche avec une femme, ils
ont fait tous deux une chose abominable ; ils seront punis de mort,
leur sang retombera sur eux. » (Idem
20, 13).
3. L’homosexuel n’est pas
défini dans la Bible
Une lecture rigoureuse du texte biblique montre toutefois que si la
Bible interdit à un homme de coucher avec un autre homme, l'homosexuel n’est
pour autant pas défini. Selon la Bible en effet tous les hommes et les femmes sont
censés être hétérosexuels, ainsi lorsqu’un homme couche avec un partenaire de
même sexe on dit qu’il agit par « perversion »
extrême de sa sexualité. Il s’agit-là d’un manque de maîtrise des pulsions
animales de l’individu, qui pour satisfaire ses fantasmes est capable d’aller
jusqu’à coucher avec un autre homme[9].
Or, tel que nous le percevons aujourd’hui, l'homosexualité
s’apparente davantage à une tendance sexuelle, qui exprime une identité
spécifique d’individus. Un hétérosexuel d’une manière générale n’est pas attiré
par un membre du même sexe. Tandis que la Bible ne reconnaît pas de catégories dépendantes
de l’orientation sexuelle. Il n’existe en effet aucun terme pour qualifier
l’homosexuel, pas plus que l’homosexualité. Et ce, y compris dans le cadre de
la « condamnation » qui lui est spécifiée, comme le sont le criminel,
rotséah, le voleur ganav etc…., ou même celui qui commet un
adultère qui est appelé un noef[10].
À propos des gens de
Sodome
On le voit notamment au sujet de Sodome, la Torah nous raconte que lorsque les anges, mandatés par
Dieu pour détruire la ville de Sodome, étaient venus pour le sauver avec sa
famille, celui-ci, ayant appris la vertu d’hospitalité de son oncle, reçut les anges
– d’apparence humaine – avec tous les
honneurs. Il était alors interdit aux gens de Sodome d’héberger des étrangers.
Lorsque les Sodomites apprirent leur présence chez Loth, ils lui dirent :
« Où sont les hommes qui sont venus chez-toi cette nuit ? Fais-les
sortir vers nous, que nous les
connaissions[11] ! ». Loth, pour protéger ses
convives, leur dit : « De grâce, mes frères ne leur faites pas de
mal ! Ecoutez, j’ai deux filles
qui n’ont pas encore connu d’homme,
je vais vous les amener faites-leur ce que bon vous semblera ; mais ces
hommes, ne leur faites rien, car ils sont venus s’abriter sous mon toit »
(Genèse 19, 4-9).
Ainsi, pour calmer la colère des sodomites, qui
réclamaient d’abuser de ses convives, Loth était près à sacrifier en échange ses propres filles. Or, si la Bible
considérait l’homosexualité comme une pratique spécifique à l’homosexuel, pour
tout ce qu’elle a de condamnable, la stratégie de Loth pour sauver ses invitées
paraît strictement inutile ! Il est donc clair que la description que fait
la Torah de l’homosexualité ne prend pas en considération le fait qu’il existe
une catégorie de personnes qui n’a pas d’attirance pour le sexe opposé[12].
Tandis que l’homosexualité telle qu’elle est perçue de nos jours relève davantage
d’une tendance plutôt naturelle, souvent indépendante du choix de
la personne. Quoi qu’il en soit de l’origine de cette tendance, il est clair
que l’orientation sexuelle n’a aucune influence sur le terrain de la perversion.
Il se peut tout à fait qu’un homosexuel soit de nature plus prude qu’un
hétérosexuel.
En ce sens, l’on ne peut prétendre que la tentation à l’homosexualité puisse être l’apanage de tous. Contrairement
à ce que dit la Bible, la plupart de ceux qui se reconnaissent hétérosexuels n’ont aucune attirance physique pour
une personne du même sexe. Par conséquent, l’interdit biblique de coucher avec
un autre homme, comme on couche avec une femme, fait état d’individus qui par
incapacité à se maîtriser vont pousser le « vice » et la « perversion »
jusqu'à désirer une personne du même sexe.
4. La norme sexuelle selon
la Torah
Même si pour la Torah la « norme »
sexuelle c’est celle qui, selon les voies naturelles, permet la procréation, la
Torah reconnaît que cela procède du désir, voir même d'un assouvissement de ses
pulsions. C’est ainsi qu’elle justifie d’une certaine manière la tentation à la
sexualité, y compris sur le plan de l’interdit. Cette tentation est nécessaire
à l’équilibre humain[13] sans
quoi le monde ne pourrait exister[14]. Tel
que nous lisons dans le Midrash :
« “Et
voici cela [l’œuvre de la création] était extrêmement
bonne” (Genèse 1, 31) le verset inclut aussi le mauvais penchant de
l’homme. Mais comment peut-il être une si bonne chose ? Si l’homme n’avait pas de mauvais penchant, il ne construirait pas de
maison, il n’épouserait pas de femme, il n’enfanterait pas, et ne chercherait
pas à gagner sa vie. Ainsi que le roi Salomon dit : « J’ai vu que tout
labeur et toute réussite, ne sont que jalousie de son prochain » (Ecclésiaste 4, 4). »
(Genèse Rabba 9, 7)
Dès lors que c'est vécu dans un cadre défini, se donner mutuellement du
plaisir avec son conjoint, au-delà du cadre restreint de la procréation, est
non seulement permis mais même obligatoire[15]. Rappelons
que la chasteté dans le Judaïsme est
fortement déconseillée.
Ainsi, lorsqu’on se place sur le terrain du fantasme ou du désir,
l’homme peut tout à fait désirer l’interdit ; « Les eaux volées sont plus douces, et le pain dérobé
est plus délicieux » (Proverbes 9, 17). Là où il y a dérive ou
perversion ce n’est donc pas dans le fait de désirer voir même de fantasmer une
chose qui nous est interdite, mais dans l’incapacité à se maîtriser.
5. Désir et tentation à
l’homosexualité
À partir de ce que nous venons de voir, comme quoi, selon la loi de la
Torah, la tentation à la sexualité alimente et sert la cause même de la
sexualité, l’une des plus grandes autorités rabbiniques de son temps, le R. Moshé
Feinstein (1895-1986)[16], va ainsi
expliquer pourquoi l’homosexualité relève d’une abomination plus grave que les autres interdits sexuels de la
Torah.
Pour la plupart des personnes, nous dit-il, il n’y
a pas d’attirance naturelle à
l’homosexualité, au contraire même, la généralité des gens la répugne, y compris
pour celui qui vit une sexualité « débridée » [17]. Le
fait d’être homosexuel ne peut donc pas se comprendre y compris d’un point de
vue de la tentation au mal. Une telle
attitude relève, par conséquent, d’un acte de révolte contre la Torah.
Deux
sortes de transgressions
Afin de bien saisir son propos il nous faut
comprendre le concept de transgression défini par la halakha. Il existe en
effet deux sortes de transgressions : la première, appelé en hébreu letéavon – littéralement pour le plaisir
– est suscitée par le besoin et le plaisir personnel de l’individu, tandis que
la seconde, qu’on appelle léakh‘is –
littéralement pour la colère – est
accomplie non pour satisfaire un désir personnel mais pour manifester son rejet
de la loi de la Torah et de la divinité.
Dans le premier cas le fait que cette tentation réponde à un désir cela constitue
une circonstance atténuante. C’est comme ça que les portes du repentir ne sont
pas fermées, c’est ainsi qu’il est dit : « Par ma vie, dit le
Seigneur Dieu, je ne souhaite pas que le
méchant meure, mais qu'il renonce à sa voie et qu'il vive ! Revenez, revenez de vos voies mauvaises, et pourquoi mourriez-vous, maison
d'Israël ? » (Ezéchiel 33,
11). C’est ainsi que Maïmonide écrit :
« Lorsque l’homme croit [aux principes de la foi
d’Israël] et que sa foi en eux s’épure, il entre dans la communauté d’Israël et
c’est un commandement de l’aimer, d’avoir pitié de lui et de se comporter
envers lui en tout ce qu’a ordonné le Nom, béni soit-il, au sujet des rapports
entre l’homme et son prochain, avec amour et fraternité. Même s’il commet des
transgressions, ce qui est possible à cause de la passion et de la force
naturelle inférieure, il est puni selon son péché mais il a part au monde à
venir, même s’il fait partie des coupables d’Israël »[18].
Rappelons qu’un Israël reste juif quels que soient
ses transgressions (Sanhédrin 44, a).
Ainsi les sages incluent le condamné à mort dans le commandement de la Torah
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19, 18)[19]. « Même
les pécheurs d’Israël par leur corps sont
remplis de bonnes actions comme une grenade est pleine de graines » (Erouvin 19, a).
Pour celui qui, en revanche, accomplit un interdit,
non pour satisfaire ses propres besoins, mais pour manifester son rejet de Dieu,
le jugement est sans appel, ainsi que Maïmonide poursuit :
« Mais l’homme qui ne croit pas à l’un des principes
[de la foi], sort de la communauté,
renie l’essentiel et est appelé “hérétique”,
“épicurien” et “celui qui coupe les racines[20]” ; c’est un commandement de le détester et de le perdre.
C’est à son propos qu’il est écrit “A coup sûr, je déteste ceux qui te haïssent, j’ai en horreur ceux qui se dressent contre toi” (Psaume 139, 21). »
Par conséquent, pour le Rabbin Moshé Feinstein, le
fait que la plupart des gens n’éprouvent aucune attirance pour l’homosexualité cela
montre que celui qui se laisse aller à ce genre de pratique le fait non pas
pour satisfaire son propre désir mais pour manifester un rejet de Dieu et de la
Torah.
6. Tentation
à l’inceste
L’auteur des Igrot Moshé va appuyer
son argument sur un passage du Talmud au sujet de la tentation à la luxure,
voici ce que nous lisons :
[Après
que les sages parvinrent à anéantir la tentation à l’idolâtrie] Ils se
dirent : Puisque le moment semble propice, prions pour venir à bout aussi
de la luxure. Ils prièrent et elle tomba en leur pouvoir. [Le prophète] leur
dit :
- Prenez
garde ! Si vous la tuez, le monde entier sera détruit.
Ils
l’emprisonnèrent pendant trois jours.
Mais lorsqu’on chercha des œufs au marché on en trouva pas un seul dans tout
Israël. Finalement ils aveuglèrent [la luxure] puis la libérèrent. Ainsi, la
tentation à l’inceste fut diminuée.
(Yoma 69, b)
Ce texte du Talmud affirme qu’il ne peut y avoir, et même dans un cadre
légal, de sexualité sans tentation à l’interdit. S’il n’y avait pas de plaisir
dans l’acte sexuel, nous l’avons dit, l’homme n’aurait aucune envie de faire
des enfants. Par conséquent, même s’il est vrai que l’interdit stimule
davantage ; « Les eaux volées
sont plus douces, et le pain dérobé est plus délicieux » (Proverbes
9, 17), le désir sexuel, selon qu’il soit dans un cadre légal ou interdit,
procède de la même nature.
Pour ce qui est en revanche de l’inceste, la tentation à l’inceste ne
peut se comparer au désir de sexualité classique. La plupart des gens n’éprouvent
pas de désir pour l’inceste, c’est pourquoi pour le Talmud une telle pratique
ne peut être que motivée par un rejet de Dieu et de la loi de la Torah, à
l’instar de Amon qui lorsque sa mère, avec qui il entretenait des relations
sexuelles, lui demanda : « comment
peux-tu éprouver du plaisir de pénétrer par là où tu es sorti ? »,
lui dit : « Je n’éprouve aucun
plaisir, je ne le fais que pour provoquer la colère de mon Créateur » (Sanhédrin
103, b).
Sans rentrer dans les questions morales spécifiques
à l’inceste, et sans se laisser aller à des comparaisons hasardeuses, ce que
cherche à démontrer l’auteur des Igrot
Moshé, c’est que sur le registre de la tentation, l’analogie reste, en
revanche, pertinente. De même, en effet, que la tentation à l’homosexualité
n’est pas l’apanage de tous, ainsi en est-il de l’inceste, la plupart des gens
n’ont aucune attirance physique pour un proche parent du premier degré. C’est pour cette raison,
selon le Rav Feinstein, que l’interdit de la Torah de l’homosexualité est plus
grave que les autres, du fait justement qu’il ne dépend ni du désir ni d’une
tentation physique, mais relève d’un comportement qui en réalité suscite
répugnance, y compris pour qui la pratique. C’est pourquoi, selon lui, un tel
acte ne peut être que motivé par un rejet de Dieu et de la Torah.
7. Le désir
d’homosexualité chez l’homosexuel
Cependant, ce que cherche a démontrer l’auteur des Igrot Moshé comme quoi il n’existe pas de tentation à
l’homosexualité, y compris chez celui qui vit une sexualité débridée, ne vaut que si l’on se place
du point de vue de l’hétérosexuel, chez qui le désir homosexuel est inexistant,
du moins pour la plupart. Si l’on se place, en revanche, du côté de
l’homosexuel, nous ne pouvons nier qu’il existe chez lui un réel désir pour
l’homosexualité.
À partir de là, ce texte du Talmud, qui distingue l’inceste du désir de
sexualité classique, ne peut que se situer, selon une norme établie selon laquelle la plupart des gens n’éprouvent pas
d’attirance physique pour un membre au premier degré de leur propre famille. Par
conséquent, l’analogie avec la pratique homosexuelle, ne concerne que celui qui
n’est pas homosexuel et qui de fait n’éprouve pas d’attirance pour un membre du
même sexe, il ne peut donc nous renseigner pour ce qui est du désir
d’homosexualité chez l’homosexuel ! Le Talmud ne fait donc que confirmer
le point de vue biblique à savoir que l’homosexualité relève forcément d’une
perversion poussée à son extrême du désir sexuel.
Ainsi il est clair que la description que fait la Bible et les textes
rabbiniques de l’homme enclin à l’homosexualité, s'apparente davantage à un
violeur, qui agit par pulsion animale et qui s’avère incapable de maîtriser son
désir, aucun rapport donc avec l’homosexuel que nous connaissons.
Le bisexuel non plus ne renvoie pas à la description biblique, sachant
que l’orientation sexuelle, nous l’avons dit, n’a aucune influence sur le
registre de la perversion, quelle que soit la catégorie dans laquelle se situe
la personne, ne change rien à ses capacités à se maîtriser. Ainsi, de même que
nous ne pouvons établir que l’homosexuel serait plus enclin à la perversion
qu’un hétérosexuel, le bisexuel non plus ne l’est pas forcément du fait d’une
perversion plus excessive.
Personne ne discute sur le fait qu’il puisse exister une perversion
extrême qui pousse l’individu à des actes des plus condamnables, mais prétendre
que l’orientation sexuelle joue quelque chose dans la nature même de la
perversion d’un individu ne repose sur aucun fondement crédible.
Nous ne pouvons ainsi prétendre, avec l’auteur des Igrot Moshé, que celui qui pratique l’homosexualité le fait en
dépit de son propre désir. Au contraire, un homosexuel éprouve, à l’évidence,
autant de désir pour un membre de même sexe qu’un hétérosexuel en éprouve pour
une personne de sexe opposé.
7. Conclusion
Tenant compte du fait que cette connaissance, qui distingue des
catégories spécifiques de sexualités, est récente, une telle norme ne pouvait être connue des auteurs
de la Bible. C'est pourquoi, au-delà de l’archaïsme du discours biblique, il
est intéressant de montrer que l'homosexuel que nous connaissons n'a absolument
rien à voir avec ce dont il est question dans les textes religieux. Et que l’on
ne peut plaquer le texte biblique pour justifier notre regard sur l’homosexuel
d’aujourd’hui.
Je finirai par un passage du Talmud qui rapporte qu’un homme peut tout à
fait accuser un autre d’avoir abusé de lui, même s’il affirme avoir été
consentant. Du fait, qu’un homme est proche de lui-même, il ne peut être son
propre témoin, c’est pourquoi on ne peut le croire de se déclarer racha, (impie). Ainsi, seule sa plainte,
comme quoi untel a abusé de lui, est recevable mais pas le fait qu’il affirme
avoir été consentant[21]. Ce
texte du Talmud montre que nous ne pouvons accuser un homme pour son
homosexualité en se basant uniquement sur son propre aveu. La Halakha nous met donc en garde contre le
fait d’étiqueter les gens en fonction de leur orientation sexuelle.
Il n’est pas dans mon propos de vouloir « justifier » les pratiques homosexuelles d’un point de vue de
la Torah et de la halakha. Je crois en effet que sur ce terrain, il est
préférable de laisser chacun à sa liberté de conscience. Ce qui m’importe, en
revanche, c’est de sortir d’un jugement manichéen voulant classer les
homosexuels dans des cases préconçues, en s’appuyant sur la Bible, sans tenir
compte d’à quel point ce qui est dit sur ce sujet est loin d’être en phase avec
la réalité que nous connaissons de l’homosexualité.
Hervé élie Bokobza
[1]
L’au-delà du verset (coll. critique,
Éd. de minuit, 1995, p. 72)
[2] Un texte
du Talmud (Holin 92,
a-b) précise que les non-juifs ont reçu trente commandements et n’en
respectent que trois dont celui qu’ils ne s’autorisent pas à établir un contrat
de mariage entre des hommes. Rachi explique que même s’ils pratiquent
l’homosexualité ils ne poussent pas le vice jusqu’à légaliser leur union. Ainsi
il est clair que le problème du mariage homosexuel d’un point de vue halakhique
ne vaut que parce qu’il offre un cadre qui favorise l’homosexualité, il ne
saurait être dissocié de l’interdit d’homosexualité.
[3] À ce
sujet je renvoie les lecteurs à l’excellent article de mon ami le rabbin
Yeshaya Dalsace en réponse entre autres à l’essai du rabbin Bernheim Grand
rabbin de France, sur le sujet du mariage et de l’adoption des homosexuels. Cet
article apporte des réponses claires, et extrêmement intéressantes sur la
question.
http://36ohk6dgmcd1n-c.c.yom.mail.yahoo.net/om/api/1.0/openmail.app.invoke/36ohk6dgmcd1n/11/1.0.35/fr/fr-FR/view.html/0#
[4]
Le Sefer hahinoukh, ou Livre des
commandements (C. 1) – (ouvrage classique attribué à R. Aharon Halévi
(mort vers 1300) ; l’auteur devait vraisemblablement être l’un de ses
contemporains) – le déduit de ce verset de la Genèse. Tandis que Maïmonide, dans
son livre de nomenclature des commandements, le Sefer hamitsvot (positif 212), tout comme le Talmud (Sanhédrin 59, b), le déduit du verset
qui a été dit à Noé (Genèse 9, 7). Selon cette lecture le verset relatif à Adam
et Eve ne relève pas d’un commandement mais d’une bénédiction. Comme l’écrit R.
Moshé b. Nahman, Nahmanide (1197-1270), dans son commentaire sur Genèse idem.
[5]
Juif ou non, du fait que selon la loi de Noé le non juif aussi est soumis à
garantir la vie sur terre et doit contribuer, par conséquent, à la continuité
de l’espèce humaine : « La terre, […] n’a pas été créée pour
demeurer déserte, mais pour être
habitée » (Is 45, 18). Cf. sur
tout ce sujet notre ouvrage en hébreu « kountrass peria verivia beguer » chapitre 12. Jérusalem 1990.
[6]
Comme dit à la fin du chapitre : « Soyez donc fidèles à mon
observance, en ne suivant aucune de ces
lois abominables » (idem
30).
[7] Le terme en hébreu de toéva qu’on traduit par abomination, tel que le commentent la
plupart des exégètes de la Bible, renvoie à quelque chose de répugnant. (Voir le
commentaire de R. Abraham Ibn Ezra (1090-1164) sur Lévitique (18, 22). Cf. Rachi (Genèse 43, 32), (Exode 8,
22)). Un texte du Talmud le définit, en revanche, comme une déviance. Il
décompose toéva dans le sens de
« toé ata ba » – littéralement
tu erres en elle – le fait de se fourvoyer. (Nédarim 51, a). Ce texte du Talmud peut toutefois être compris de
deux façons : Selon le commentaire attribué à Rachi cette interprétation
traduit toéva, dans son acception
générale, à savoir telle quelle exprime l’ensemble des interdits sexuelles de
la Torah. Tandis que, selon le commentaire de R. Nissim, le Ran (1310-1375), ce passage du Talmud
tente à expliquer l’application du mot toéva
employé spécifiquement dans le cas de l’homosexualité. Il s’agit donc d’une déviance particulière qui ne peut se
comparer aux autres interdits sexuels. Selon cette lecture on pourrait en
déduire que l’homosexualité relèverait d’une catégorie spécifique. Sauf qu’une
telle lecture dépasse le cadre biblique et fait quelque peu dans
l’anachronisme. Voir plus loin nos remarques sur les propos du R. Moshé
Feinstein à ce sujet.
[8]
Notons que cet interdit ne concerne pas les femmes. Même si selon la halakha les femmes aussi n’ont pas le
droit d’avoir des relations entres elles, l’interdit n’est pas explicite dans
la Torah. Les Sages dans le Talmud (Yébamot
76, a) y voient une allusion dans le verset « Les pratiques du pays
d'Egypte, où vous avez demeuré, ne les imitez pas, les pratiques du pays de
Canaan où je vous conduis, ne les imitez pas et ne vous conformez point à leurs
lois. » (Lévitique 18, 3). Selon
les sages en effet les femmes d’Egypte étaient coutumières du fait, c’est
pourquoi la Torah a enjoint de s’éloigner de ce genre de pratiques. Ce n’est
pour autant pas considéré comme un adultère, au point de rendre la femme
interdite à son mari. (Cf. Maïmonide Mishneh Torah (lois de relations
interdites 21, 8). Joseph Caro (1489-1575), Shoulhan
Aroukh (Even Haézer 20, 2).
[9]
C’est comme ça que le texte biblique juxtapose l’interdit d’homosexualité avec
la zoophilie rapporté dans le verset suivant : « Tu ne coucheras
point avec une bête, pour te souiller avec elle. La femme ne s'approchera point
d'une bête, pour se prostituer à elle. C'est
une confusion » (Cf. Lévitique 20, 15-16). C’est en ce sens
qu’il nous faut comprendre l’insistance du texte de la Torah qui qualifie cet
interdit d’« abomination ».
[10] Notons
que dans la Grèce Antique l’homosexualité pouvait certainement se rapprocher
davantage à la conception moderne. Dans le Banquet
de Platon, par exemple, l’auteur fait parler Aristophane, qui après avoir
expliqué les différentes catégories d’êtres humains, montre que certains hommes
recherchent le sexe masculin, et certaines femmes ne font pas grande attention
aux hommes, et sont plus portées pour les femmes. À propos de ces hommes
qui se plaisent à coucher avec les hommes, l’auteur ajoute : « c'est
bien à tort qu'on leur reproche de
manquer de pudeur : car ce n'est pas faute de pudeur qu'ils se conduisent
ainsi, c'est par grandeur d'âme, par générosité de nature et virilité qu'ils
recherchent leurs semblables. »
[11]
Dans le contexte biblique connaître
signifie avoir des relations sexuelles, comme « et Adam connut Eve » (Genèse 4, 25).
[12]
Dans le chapitre 19 du livre des Juges se trouve un récit similaire. Il est
question d’un vieillard qui pour protéger son hôte, que réclamaient des
agresseurs, livrera sa propre fille ainsi que la concubine de son invité :
« J’ai une fille encore vierge, il a une concubine, je vais vous les
livrer ; abusez d’elles, traitez-les comme il vous plaira, mais ne
commettez pas sur cet homme une action si odieuse. » (idem 24). Mais tandis que dans le récit de Loth ses filles ont
finalement été épargnées, dans le livre des juges ces femmes n’ont pas eues la
même chance, puisqu’elles ont bien été livrées à leurs agresseurs.
Quoi qu’il en soit il est donc clair que la Bible ne
fait nulle part mention d’une sexualité spécifique à l’homosexuel.
Contrairement à ce qu’écrit un certain docteur Y.T. Miller dans la revue
d’études juives hamaor (Vol. 7 No.
2 5716, 1956, p. 20), selon qui Loth n’avait nullement l’intention de
livrer ses filles, sachant qu’ils savaient que les habitants de Sodome étaient
homosexuels, il n’avait donc aucune attirance pour le sexe opposé. Sa stratégie
ne valait que pour gagner du temps.
Or, il n’y a non seulement aucune allusion dans le texte qui laisse entendre
une telle interprétation, mais même si l’on admettait que l’homosexuel, y
compris d’un point de vue biblique, n’a pas d’attirance pour le sexe opposé, il
est inconcevable d’imaginer que tous
les habitants de la ville étaient homosexuels, au point d’affirmer avec
certitude que cette stratégie n’avait aucune chance d’aboutir !
Par ailleurs, la raison pour laquelle les gens de
Sodome ne se sont pas contentés des filles de Loth ne vient pas du fait qu’ils
n’avaient pas d’attirance pour les femmes, mais parce qu’ils leur incombaient à
rendre justice. En effet, selon les lois de Sodome il était interdit
d’accueillir des étrangers. Tout étranger qui se trouvait dans leur ville était
condamné à subir ce genre de traitement. C’est pourquoi ils persistèrent à
appliquer la loi plutôt que d’assouvir leur désir sexuel avec les filles de
Loth. Nahmanide dans son commentaire (Genèse
19, 8) montre au contraire que l’attitude de Loth est encore plus condamnable
que celle du vieillard dans le livre des Juges.
[13]
Notons que le Talmud compte la sexualité comme un besoin vital au même titre
que le manger et le boire (cf. entre
autre Berachot 17, a). Cf. Maïmonide (Traité des Huit chapitres chap. 4 - édité à la fin du Guide des égarés Ed. Verdier).
[14] Cf. Zohar (I 128, b) : « R.
Shimon dit : si l’inclinaison au mal n’existait pas on cesserait
d’enfanter ».
[15]
Cf. Exode (21, 10).
[16] Igrot Moshé (Ora’h Haïm 4, 115).
[17]
Cf. R. Juda Lewaï (1512-1609), le
Maharal de Prague : « L’homosexualité est une chose indigne, même au
regard de ce que font les animaux, ce vice équivaut à la non existence absolue. »
(Beer Hagola (le puits de l'exil,
sixième puits, 2).
[18] Cf. son commentaire sur la Mishna
(chapitre X de Sanhédrin) en
conclusion des treize principes de foi (Pour la traduction française, cf. Épîtres de Maïmonide, (Gallimard,
1993, p. 194), Mishneh Torah
(fin des lois du meurtre).
[19] Ketoubot (37, b).
[20] Expression
talmudique à l’endroit de celui qui renie les principes de la Torah (Haguiga 15 a).
[21] Cf. entre
autres Sanhédrin (9, b) et les
commentaires des Tossafot.