dimanche 23 décembre 2012

JUDAISME ET HOMOSEXUALITE

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JUDAISME ET HOMOSEXUALITE
Des réponses à vos questions en matière de Halakha, loi juive, et homosexualité, dans un article par Hervé élie Bokobza, de formation talmudique et rabbinique et auteur de nombreux ouvrages, décembre 2012.
Hervé élie Bokobza est né en 1967 à Boulogne-Billancourt. Après une formation supérieure talmudique et rabbinique en France, aux Etats-Unis et en Israël, il a publié quatre ouvrages en hébreu consacrés au Talmud et aux Sages d’Israël − ouvrages salués par les plus hautes autorités religieuses juives. Il est enseignant et conférencier à Paris auprès de plusieurs centres d'études juives et universitaires. Parmi ses publications il est l'auteur de "L'Autre l'image de l'étranger dans le Judaïsme"

Homosexualité et Halakha

Par Hervé élie BOKOBZA
Décembre 2012


Entrée en matière

Le point de vue des religions en général et du Judaïsme en particulier au sujet de l’homosexualité est connu, il ne m’appartient pas ici d’en discuter les positions autant archaïques que dépassées. Il ne s’agit pas non plus de porter ici une quelconque critique à l’endroit des religions et plus particulièrement du judaïsme sur ce sujet mais de dégager une réflexion objective, à partir des sources juives, permettant de porter sur l’homosexualité et sur l’homosexuel un regard beaucoup moins rigide qu’il n’y paraît a priori.

Il est en effet salutaire d'articuler une évolution de l'intérieur même des textes religieux, afin de montrer que même d'un point de vu théologique ces textes disent autres chose que la radicalité que nous servent les fondamentalistes de tous bords. Lévinas disait prendre le Talmud pour une pensée très haute[1]. Il ne peut bien évidemment être soupçonnable de faire dans l'apologie de la « lapidation » de la femme adultère !

Aussi ne plaquons pas sur ces textes une lecture du XXIe siècle, nos sociétés ont mis des siècles à évoluer, il est tout à fait normal que les religions se soient inscrites dans un langage et une approche conformes à leur temps ! La question ne se situe pas tant au niveau des sources elles-mêmes, pour le moins dépassées, mais se pose davantage dès lors que l’on cherche à considérer ces écrits comme participant de la nature même de l’enseignement religieux. Ceci afin de se donner bonne conscience en se confortant dans une quelconque légitimité à vouloir condamner l’autre, que ce soit pour ses pratiques, en l’occurrence, ou pour ses origines.

1. Distinguer la question du droit au mariage et à l’adoption de celle liée à l’homosexualité

Avant d’aller plus en avant il me paraît nécessaire de dissiper un malentendu. Le débat qui est mis en avant aujourd’hui porte uniquement sur le droit au mariage pour tous et à l’adoption des homosexuels, il n’est pas question de discuter du droit à vivre son homosexualité, principe admis dans nos sociétés, lesquelles reconnaissent en plus toutes formes d’homophobies comme un délit, aussi condamnable que toutes autres discriminations.

Aussi à mon sens il y a une forme d’hypocrisie à faire entendre des « représentants » des religions sur ce terrain. Il est certes bon signe en démocratie que tous puissent s’exprimer sur les grands sujets de sociétés, à ce stade les « représentants » des religions ont aussi leur mot à dire. Je ne vois ici aucune contradiction avec la loi de 1905. Il n’en demeure pas moins que, quelle que soit leur bonne foi, leurs positions, en l’occurrence, s’avèrent forcément influencées par les textes religieux, dont ils se revendiquent, c’est d’ailleurs au nom même de cette représentation qu’on fait appel à eux. Or, si l’on s’en tient uniquement aux textes des trois religions monothéistes, celles-ci se contentent de condamner l’homosexualité. Rien dans les textes ne discute sur le droit au mariage, dans un cadre civil, des homosexuels[2], et encore moins sur la question de l’adoption.

Certes, une lecture rigoureuse de ces textes permet un certain dépassement, il n’en demeure pas moins qu’une telle démarche ne saurait servir de grille de lecture pour ce qui est de légiférer dans le cadre de la laïcité. Quant à savoir s’il est pensable de faire évoluer les textes religieux, encore faut-il en avoir la volonté, or, sur tous les discours que j’ai pu lire sur la question, le constat montre davantage une volonté de retour en arrière, plus qu’une réelle prise en compte de l’évolution de nos sociétés[3].

Le mariage en Mairie se situe en dehors du champ religieux, il n’offre pas davantage qu’un cadre administratif, contractuel et légal, d’un point de vue des institutions laïques, il n’est pas là pour se substituer au mariage religieux. Ainsi, sachant que les religions interdisent l’homosexualité, purement et simplement, en quoi le point de vue des religions peut-il apporter sur ce terrain une valeur ajoutée ?

Il en est de même de l’adoption, on peut discuter sur l’éventuelle nécessité pour un enfant d’avoir des parents de sexes opposés, mais on ne peut faire intervenir au débat des positions issues des religions. Je n’ai là encore trouvé à ce jour aucun texte religieux qui discute de ce sujet, et pour cause ; l’homosexuel, ainsi que nous le verrons plus loin, n’est pas perçu dans la Bible comme une catégorie spécifique.

[De plus, du point de vue du Judaïsme, le fait d’adopter un enfant, selon les conditions imposées par les textes de la halakha (législation rabbinique), relève d’une mitsva de la Torah, qui participe du commandement « croissez et multipliez » [4] (Genèse 1, 28). Cette mitsva, tout comme celle d’avoir des enfants, s’incombe à tous[5] sans rapport avec leur orientation sexuelle. Prétendre que l’homosexuel vit dans le péché ne le dispense nullement de ses obligations religieuses y compris sur le terrain de la procréation, voir le cas échéant d’adopter.]

Tout débat sur la question de l’adoption ne peut donc être fondé que sur des principes totalement laïques, qu’ils soient d’ordre psychologique, sociologique etc… mais nullement s’appuyer sur ce que disent les religions de l’homosexualité.

2. Interdits bibliques relatifs à l’homosexualité

Si d’une manière générale tous les interdits sexuels sont qualifiés d’abominations[6], du fait que la Torah le répète spécifiquement concernant l’homosexualité, on comprend qu’elle lui prête une abomination particulière[7].

Ainsi, dans le livre du Lévitique la Torah qualifie le fait qu’un homme couche avec un autre homme d’abomination[8] : « Tu ne coucheras point avec un mâle, comme on couche avec une femme, c'est une abomination » (Lévitique 18, 22). Interdit qui, à l’époque où les condamnations à mort étaient appliquées, entraînait la peine capitale, comme on peut le lire ici : « Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable ; ils seront punis de mort, leur sang retombera sur eux. » (Idem 20, 13).

3. L’homosexuel n’est pas défini dans la Bible

Une lecture rigoureuse du texte biblique montre toutefois que si la Bible interdit à un homme de coucher avec un autre homme, l'homosexuel n’est pour autant pas défini. Selon la Bible en effet tous les hommes et les femmes sont censés être hétérosexuels, ainsi lorsqu’un homme couche avec un partenaire de même sexe on dit qu’il agit par « perversion » extrême de sa sexualité. Il s’agit-là d’un manque de maîtrise des pulsions animales de l’individu, qui pour satisfaire ses fantasmes est capable d’aller jusqu’à coucher avec un autre homme[9].

Or, tel que nous le percevons aujourd’hui, l'homosexualité s’apparente davantage à une tendance sexuelle, qui exprime une identité spécifique d’individus. Un hétérosexuel d’une manière générale n’est pas attiré par un membre du même sexe. Tandis que la Bible ne reconnaît pas de catégories dépendantes de l’orientation sexuelle. Il n’existe en effet aucun terme pour qualifier l’homosexuel, pas plus que l’homosexualité. Et ce, y compris dans le cadre de la « condamnation » qui lui est spécifiée, comme le sont le criminel, rotséah, le voleur ganav etc…., ou même celui qui commet un adultère qui est appelé un noef[10].

À propos des gens de Sodome

On le voit notamment au sujet de Sodome, la Torah nous raconte que lorsque les anges, mandatés par Dieu pour détruire la ville de Sodome, étaient venus pour le sauver avec sa famille, celui-ci, ayant appris la vertu d’hospitalité de son oncle, reçut les anges –  d’apparence humaine – avec tous les honneurs. Il était alors interdit aux gens de Sodome d’héberger des étrangers. Lorsque les Sodomites apprirent leur présence chez Loth, ils lui dirent : « Où sont les hommes qui sont venus chez-toi cette nuit ? Fais-les sortir vers nous, que nous les connaissions[11] ! ». Loth, pour protéger ses convives, leur dit : « De grâce, mes frères ne leur faites pas de mal ! Ecoutez, j’ai deux filles qui n’ont pas encore connu d’homme, je vais vous les amener faites-leur ce que bon vous semblera ; mais ces hommes, ne leur faites rien, car ils sont venus s’abriter sous mon toit » (Genèse 19, 4-9).

Ainsi, pour calmer la colère des sodomites, qui réclamaient d’abuser de ses convives, Loth était près à sacrifier en échange ses propres filles. Or, si la Bible considérait l’homosexualité comme une pratique spécifique à l’homosexuel, pour tout ce qu’elle a de condamnable, la stratégie de Loth pour sauver ses invitées paraît strictement inutile ! Il est donc clair que la description que fait la Torah de l’homosexualité ne prend pas en considération le fait qu’il existe une catégorie de personnes qui n’a pas d’attirance pour le sexe opposé[12].

Tandis que l’homosexualité telle qu’elle est perçue de nos jours relève davantage d’une tendance plutôt naturelle, souvent indépendante du choix de la personne. Quoi qu’il en soit de l’origine de cette tendance, il est clair que l’orientation sexuelle n’a aucune influence sur le terrain de la perversion. Il se peut tout à fait qu’un homosexuel soit de nature plus prude qu’un hétérosexuel.  

En ce sens, l’on ne peut prétendre que la tentation à l’homosexualité puisse être l’apanage de tous. Contrairement à ce que dit la Bible, la plupart de ceux qui se reconnaissent hétérosexuels n’ont aucune attirance physique pour une personne du même sexe. Par conséquent, l’interdit biblique de coucher avec un autre homme, comme on couche avec une femme, fait état d’individus qui par incapacité à se maîtriser vont pousser le « vice » et la « perversion » jusqu'à désirer une personne du même sexe.

4. La norme sexuelle selon la Torah

Même si pour la Torah la « norme » sexuelle c’est celle qui, selon les voies naturelles, permet la procréation, la Torah reconnaît que cela procède du désir, voir même d'un assouvissement de ses pulsions. C’est ainsi qu’elle justifie d’une certaine manière la tentation à la sexualité, y compris sur le plan de l’interdit. Cette tentation est nécessaire à l’équilibre humain[13] sans quoi le monde ne pourrait exister[14]. Tel que nous lisons dans le Midrash :

« “Et voici cela [l’œuvre de la création] était extrêmement bonne” (Genèse 1, 31) le verset inclut aussi le mauvais penchant de l’homme. Mais comment peut-il être une si bonne chose ? Si l’homme n’avait pas de mauvais penchant, il ne construirait pas de maison, il n’épouserait pas de femme, il n’enfanterait pas, et ne chercherait pas à gagner sa vie. Ainsi que le roi Salomon dit : « J’ai vu que tout labeur et toute réussite, ne sont que jalousie de son prochain » (Ecclésiaste 4, 4). »
(Genèse Rabba 9, 7)

Dès lors que c'est vécu dans un cadre défini, se donner mutuellement du plaisir avec son conjoint, au-delà du cadre restreint de la procréation, est non seulement permis mais même obligatoire[15]. Rappelons que la chasteté dans le Judaïsme est fortement déconseillée.

Ainsi, lorsqu’on se place sur le terrain du fantasme ou du désir, l’homme peut tout à fait désirer l’interdit ; « Les eaux volées sont plus douces, et le pain dérobé est plus délicieux » (Proverbes 9, 17). Là où il y a dérive ou perversion ce n’est donc pas dans le fait de désirer voir même de fantasmer une chose qui nous est interdite, mais dans l’incapacité à se maîtriser.

5. Désir et tentation à l’homosexualité

À partir de ce que nous venons de voir, comme quoi, selon la loi de la Torah, la tentation à la sexualité alimente et sert la cause même de la sexualité, l’une des plus grandes autorités rabbiniques de son temps, le R. Moshé Feinstein (1895-1986)[16], va ainsi expliquer pourquoi l’homosexualité relève d’une abomination plus grave que les autres interdits sexuels de la Torah.

Pour la plupart des personnes, nous dit-il, il n’y a pas d’attirance naturelle à l’homosexualité, au contraire même, la généralité des gens la répugne, y compris pour celui qui vit une sexualité « débridée » [17]. Le fait d’être homosexuel ne peut donc pas se comprendre y compris d’un point de vue de la tentation au mal. Une telle attitude relève, par conséquent, d’un acte de révolte contre la Torah.

Deux sortes de transgressions

Afin de bien saisir son propos il nous faut comprendre le concept de transgression défini par la halakha. Il existe en effet deux sortes de transgressions : la première, appelé en hébreu letéavon – littéralement pour le plaisir – est suscitée par le besoin et le plaisir personnel de l’individu, tandis que la seconde, qu’on appelle léakh‘is – littéralement pour la colère – est accomplie non pour satisfaire un désir personnel mais pour manifester son rejet de la loi de la Torah et de la divinité.

Dans le premier cas le fait que cette tentation réponde à un désir cela constitue une circonstance atténuante. C’est comme ça que les portes du repentir ne sont pas fermées, c’est ainsi qu’il est dit : « Par ma vie, dit le Seigneur Dieu, je ne souhaite pas que le méchant meure, mais qu'il renonce à sa voie et qu'il vive ! Revenez, revenez de vos voies mauvaises, et pourquoi mourriez-vous, maison d'Israël ? » (Ezéchiel 33, 11).  C’est ainsi que Maïmonide écrit :

« Lorsque l’homme croit [aux principes de la foi d’Israël] et que sa foi en eux s’épure, il entre dans la communauté d’Israël et c’est un commandement de l’aimer, d’avoir pitié de lui et de se comporter envers lui en tout ce qu’a ordonné le Nom, béni soit-il, au sujet des rapports entre l’homme et son prochain, avec amour et fraternité. Même s’il commet des transgressions, ce qui est possible à cause de la passion et de la force naturelle inférieure, il est puni selon son péché mais il a part au monde à venir, même s’il fait partie des coupables d’Israël »[18].

Rappelons qu’un Israël reste juif quels que soient ses transgressions (Sanhédrin 44, a). Ainsi les sages incluent le condamné à mort dans le commandement de la Torah « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19, 18)[19]. « Même les pécheurs d’Israël par leur corps sont remplis de bonnes actions comme une grenade est pleine de graines » (Erouvin 19, a).

Pour celui qui, en revanche, accomplit un interdit, non pour satisfaire ses propres besoins, mais pour manifester son rejet de Dieu, le jugement est sans appel, ainsi que Maïmonide poursuit :

« Mais l’homme qui ne croit pas à l’un des principes [de la foi], sort de la communauté, renie l’essentiel et est appelé “hérétique”, “épicurien” et “celui qui coupe les racines[20]” ; c’est un commandement de le détester et de le perdre. C’est à son propos qu’il est écrit “A coup sûr, je déteste ceux qui te haïssent, j’ai en horreur ceux qui se dressent contre toi” (Psaume 139, 21). »

Par conséquent, pour le Rabbin Moshé Feinstein, le fait que la plupart des gens n’éprouvent aucune attirance pour l’homosexualité cela montre que celui qui se laisse aller à ce genre de pratique le fait non pas pour satisfaire son propre désir mais pour manifester un rejet de Dieu et de la Torah.

6. Tentation à l’inceste

L’auteur des Igrot Moshé va appuyer son argument sur un passage du Talmud au sujet de la tentation à la luxure, voici ce que nous lisons :

[Après que les sages parvinrent à anéantir la tentation à l’idolâtrie] Ils se dirent : Puisque le moment semble propice, prions pour venir à bout aussi de la luxure. Ils prièrent et elle tomba en leur pouvoir. [Le prophète] leur dit :
- Prenez garde ! Si vous la tuez, le monde entier sera détruit.
Ils l’emprisonnèrent pendant trois  jours. Mais lorsqu’on chercha des œufs au marché on en trouva pas un seul dans tout Israël. Finalement ils aveuglèrent [la luxure] puis la libérèrent. Ainsi, la tentation à l’inceste fut diminuée.
(Yoma 69, b)

Ce texte du Talmud affirme qu’il ne peut y avoir, et même dans un cadre légal, de sexualité sans tentation à l’interdit. S’il n’y avait pas de plaisir dans l’acte sexuel, nous l’avons dit, l’homme n’aurait aucune envie de faire des enfants. Par conséquent, même s’il est vrai que l’interdit stimule davantage ; « Les eaux volées sont plus douces, et le pain dérobé est plus délicieux » (Proverbes 9, 17), le désir sexuel, selon qu’il soit dans un cadre légal ou interdit, procède de la même nature.

Pour ce qui est en revanche de l’inceste, la tentation à l’inceste ne peut se comparer au désir de sexualité classique. La plupart des gens n’éprouvent pas de désir pour l’inceste, c’est pourquoi pour le Talmud une telle pratique ne peut être que motivée par un rejet de Dieu et de la loi de la Torah, à l’instar de Amon qui lorsque sa mère, avec qui il entretenait des relations sexuelles, lui demanda : « comment peux-tu éprouver du plaisir de pénétrer par là où tu es sorti ? », lui dit : « Je n’éprouve aucun plaisir, je ne le fais que pour provoquer la colère de mon Créateur » (Sanhédrin 103, b).

Sans rentrer dans les questions morales spécifiques à l’inceste, et sans se laisser aller à des comparaisons hasardeuses, ce que cherche à démontrer l’auteur des Igrot Moshé, c’est que sur le registre de la tentation, l’analogie reste, en revanche, pertinente. De même, en effet, que la tentation à l’homosexualité n’est pas l’apanage de tous, ainsi en est-il de l’inceste, la plupart des gens n’ont aucune attirance physique pour un proche parent du premier degré. C’est pour cette raison, selon le Rav Feinstein, que l’interdit de la Torah de l’homosexualité est plus grave que les autres, du fait justement qu’il ne dépend ni du désir ni d’une tentation physique, mais relève d’un comportement qui en réalité suscite répugnance, y compris pour qui la pratique. C’est pourquoi, selon lui, un tel acte ne peut être que motivé par un rejet de Dieu et de la Torah.

7. Le désir d’homosexualité chez l’homosexuel

Cependant, ce que cherche a démontrer l’auteur des Igrot Moshé comme quoi il n’existe pas de tentation à l’homosexualité, y compris chez celui qui vit une sexualité débridée, ne vaut que si l’on se place du point de vue de l’hétérosexuel, chez qui le désir homosexuel est inexistant, du moins pour la plupart. Si l’on se place, en revanche, du côté de l’homosexuel, nous ne pouvons nier qu’il existe chez lui un réel désir pour l’homosexualité.

À partir de là, ce texte du Talmud, qui distingue l’inceste du désir de sexualité classique, ne peut que se situer, selon une norme établie selon laquelle la plupart des gens n’éprouvent pas d’attirance physique pour un membre au premier degré de leur propre famille. Par conséquent, l’analogie avec la pratique homosexuelle, ne concerne que celui qui n’est pas homosexuel et qui de fait n’éprouve pas d’attirance pour un membre du même sexe, il ne peut donc nous renseigner pour ce qui est du désir d’homosexualité chez l’homosexuel ! Le Talmud ne fait donc que confirmer le point de vue biblique à savoir que l’homosexualité relève forcément d’une perversion poussée à son extrême du désir sexuel.

Ainsi il est clair que la description que fait la Bible et les textes rabbiniques de l’homme enclin à l’homosexualité, s'apparente davantage à un violeur, qui agit par pulsion animale et qui s’avère incapable de maîtriser son désir, aucun rapport donc avec l’homosexuel que nous connaissons.

Le bisexuel non plus ne renvoie pas à la description biblique, sachant que l’orientation sexuelle, nous l’avons dit, n’a aucune influence sur le registre de la perversion, quelle que soit la catégorie dans laquelle se situe la personne, ne change rien à ses capacités à se maîtriser. Ainsi, de même que nous ne pouvons établir que l’homosexuel serait plus enclin à la perversion qu’un hétérosexuel, le bisexuel non plus ne l’est pas forcément du fait d’une perversion plus excessive.

Personne ne discute sur le fait qu’il puisse exister une perversion extrême qui pousse l’individu à des actes des plus condamnables, mais prétendre que l’orientation sexuelle joue quelque chose dans la nature même de la perversion d’un individu ne repose sur aucun fondement crédible.

Nous ne pouvons ainsi prétendre, avec l’auteur des Igrot Moshé, que celui qui pratique l’homosexualité le fait en dépit de son propre désir. Au contraire, un homosexuel éprouve, à l’évidence, autant de désir pour un membre de même sexe qu’un hétérosexuel en éprouve pour une personne de sexe opposé.

7. Conclusion

Tenant compte du fait que cette connaissance, qui distingue des catégories spécifiques de sexualités, est récente, une telle norme ne pouvait être connue des auteurs de la Bible. C'est pourquoi, au-delà de l’archaïsme du discours biblique, il est intéressant de montrer que l'homosexuel que nous connaissons n'a absolument rien à voir avec ce dont il est question dans les textes religieux. Et que l’on ne peut plaquer le texte biblique pour justifier notre regard sur l’homosexuel d’aujourd’hui.

Je finirai par un passage du Talmud qui rapporte qu’un homme peut tout à fait accuser un autre d’avoir abusé de lui, même s’il affirme avoir été consentant. Du fait, qu’un homme est proche de lui-même, il ne peut être son propre témoin, c’est pourquoi on ne peut le croire de se déclarer racha, (impie). Ainsi, seule sa plainte, comme quoi untel a abusé de lui, est recevable mais pas le fait qu’il affirme avoir été consentant[21]. Ce texte du Talmud montre que nous ne pouvons accuser un homme pour son homosexualité en se basant uniquement sur son propre aveu. La Halakha nous met donc en garde contre le fait d’étiqueter les gens en fonction de leur orientation sexuelle.

Il n’est pas dans mon propos de vouloir « justifier » les pratiques homosexuelles d’un point de vue de la Torah et de la halakha. Je crois en effet que sur ce terrain, il est préférable de laisser chacun à sa liberté de conscience. Ce qui m’importe, en revanche, c’est de sortir d’un jugement manichéen voulant classer les homosexuels dans des cases préconçues, en s’appuyant sur la Bible, sans tenir compte d’à quel point ce qui est dit sur ce sujet est loin d’être en phase avec la réalité que nous connaissons de l’homosexualité.


Hervé élie Bokobza



[1] L’au-delà du verset (coll. critique, Éd. de minuit, 1995, p. 72)
[2] Un texte du Talmud (Holin 92, a-b) précise que les non-juifs ont reçu trente commandements et n’en respectent que trois dont celui qu’ils ne s’autorisent pas à établir un contrat de mariage entre des hommes. Rachi explique que même s’ils pratiquent l’homosexualité ils ne poussent pas le vice jusqu’à légaliser leur union. Ainsi il est clair que le problème du mariage homosexuel d’un point de vue halakhique ne vaut que parce qu’il offre un cadre qui favorise l’homosexualité, il ne saurait être dissocié de l’interdit d’homosexualité.
[3] À ce sujet je renvoie les lecteurs à l’excellent article de mon ami le rabbin Yeshaya Dalsace en réponse entre autres à l’essai du rabbin Bernheim Grand rabbin de France, sur le sujet du mariage et de l’adoption des homosexuels. Cet article apporte des réponses claires, et extrêmement intéressantes sur la question.
http://36ohk6dgmcd1n-c.c.yom.mail.yahoo.net/om/api/1.0/openmail.app.invoke/36ohk6dgmcd1n/11/1.0.35/fr/fr-FR/view.html/0#
[4] Le Sefer hahinoukh, ou Livre des commandements (C. 1) – (ouvrage classique attribué à R. Aharon Halévi (mort vers 1300) ; l’auteur devait vraisemblablement être l’un de ses contemporains) – le déduit de ce verset de la Genèse. Tandis que Maïmonide, dans son livre de nomenclature des commandements, le Sefer hamitsvot (positif 212), tout comme le Talmud (Sanhédrin 59, b), le déduit du verset qui a été dit à Noé (Genèse 9, 7). Selon cette lecture le verset relatif à Adam et Eve ne relève pas d’un commandement mais d’une bénédiction. Comme l’écrit R. Moshé b. Nahman, Nahmanide (1197-1270), dans son commentaire sur Genèse idem.
[5] Juif ou non, du fait que selon la loi de Noé le non juif aussi est soumis à garantir la vie sur terre et doit contribuer, par conséquent, à la continuité de l’espèce humaine : « La terre, […] n’a pas été créée pour demeurer déserte, mais pour être habitée » (Is 45, 18). Cf. sur tout ce sujet notre ouvrage en hébreu « kountrass peria verivia beguer » chapitre 12. Jérusalem 1990.
[6] Comme dit à la fin du chapitre : « Soyez donc fidèles à mon observance, en ne suivant aucune de ces lois abominables » (idem 30).
[7] Le terme en hébreu de toéva qu’on traduit par abomination, tel que le commentent la plupart des exégètes de la Bible, renvoie à quelque chose de répugnant. (Voir le commentaire de R. Abraham Ibn Ezra (1090-1164) sur Lévitique (18, 22). Cf. Rachi (Genèse 43, 32), (Exode 8, 22)). Un texte du Talmud le définit, en revanche, comme une déviance. Il décompose toéva dans le sens de « toé ata ba » – littéralement tu erres en elle – le fait de se fourvoyer. (Nédarim 51, a). Ce texte du Talmud peut toutefois être compris de deux façons : Selon le commentaire attribué à Rachi cette interprétation traduit toéva, dans son acception générale, à savoir telle quelle exprime l’ensemble des interdits sexuelles de la Torah. Tandis que, selon le commentaire de R. Nissim, le Ran (1310-1375), ce passage du Talmud tente à expliquer l’application du mot toéva employé spécifiquement dans le cas de l’homosexualité. Il s’agit donc d’une déviance particulière qui ne peut se comparer aux autres interdits sexuels. Selon cette lecture on pourrait en déduire que l’homosexualité relèverait d’une catégorie spécifique. Sauf qu’une telle lecture dépasse le cadre biblique et fait quelque peu dans l’anachronisme. Voir plus loin nos remarques sur les propos du R. Moshé Feinstein à ce sujet.
[8] Notons que cet interdit ne concerne pas les femmes. Même si selon la halakha les femmes aussi n’ont pas le droit d’avoir des relations entres elles, l’interdit n’est pas explicite dans la Torah. Les Sages dans le Talmud (Yébamot 76, a) y voient une allusion dans le verset « Les pratiques du pays d'Egypte, où vous avez demeuré, ne les imitez pas, les pratiques du pays de Canaan où je vous conduis, ne les imitez pas et ne vous conformez point à leurs lois. » (Lévitique 18, 3). Selon les sages en effet les femmes d’Egypte étaient coutumières du fait, c’est pourquoi la Torah a enjoint de s’éloigner de ce genre de pratiques. Ce n’est pour autant pas considéré comme un adultère, au point de rendre la femme interdite à son mari. (Cf. Maïmonide Mishneh Torah (lois de relations interdites 21, 8). Joseph Caro (1489-1575), Shoulhan Aroukh (Even Haézer 20, 2).
[9] C’est comme ça que le texte biblique juxtapose l’interdit d’homosexualité avec la zoophilie rapporté dans le verset suivant : « Tu ne coucheras point avec une bête, pour te souiller avec elle. La femme ne s'approchera point d'une bête, pour se prostituer à elle. C'est une confusion » (Cf. Lévitique 20, 15-16). C’est en ce sens qu’il nous faut comprendre l’insistance du texte de la Torah qui qualifie cet interdit d’« abomination ».
[10] Notons que dans la Grèce Antique l’homosexualité pouvait certainement se rapprocher davantage à la conception moderne. Dans le Banquet de Platon, par exemple, l’auteur fait parler Aristophane, qui après avoir expliqué les différentes catégories d’êtres humains, montre que certains hommes recherchent le sexe masculin, et certaines femmes ne font pas grande attention aux hommes, et sont plus portées pour les femmes. À propos de ces hommes qui se plaisent à coucher avec les hommes, l’auteur ajoute : « c'est bien à tort qu'on leur reproche de manquer de pudeur : car ce n'est pas faute de pudeur qu'ils se conduisent ainsi, c'est par grandeur d'âme, par générosité de nature et virilité qu'ils recherchent leurs semblables. »
[11] Dans le contexte biblique connaître signifie avoir des relations sexuelles, comme « et Adam connut Eve » (Genèse 4, 25).
[12] Dans le chapitre 19 du livre des Juges se trouve un récit similaire. Il est question d’un vieillard qui pour protéger son hôte, que réclamaient des agresseurs, livrera sa propre fille ainsi que la concubine de son invité : « J’ai une fille encore vierge, il a une concubine, je vais vous les livrer ; abusez d’elles, traitez-les comme il vous plaira, mais ne commettez pas sur cet homme une action si odieuse. » (idem 24). Mais tandis que dans le récit de Loth ses filles ont finalement été épargnées, dans le livre des juges ces femmes n’ont pas eues la même chance, puisqu’elles ont bien été livrées à leurs agresseurs.
Quoi qu’il en soit il est donc clair que la Bible ne fait nulle part mention d’une sexualité spécifique à l’homosexuel. Contrairement à ce qu’écrit un certain docteur Y.T. Miller dans la revue d’études juives hamaor (Vol. 7 No. 2 5716, 1956, p. 20), selon qui Loth n’avait nullement l’intention de livrer ses filles, sachant qu’ils savaient que les habitants de Sodome étaient homosexuels, il n’avait donc aucune attirance pour le sexe opposé. Sa stratégie ne valait que pour gagner du temps. Or, il n’y a non seulement aucune allusion dans le texte qui laisse entendre une telle interprétation, mais même si l’on admettait que l’homosexuel, y compris d’un point de vue biblique, n’a pas d’attirance pour le sexe opposé, il est inconcevable d’imaginer que tous les habitants de la ville étaient homosexuels, au point d’affirmer avec certitude que cette stratégie n’avait aucune chance d’aboutir !
Par ailleurs, la raison pour laquelle les gens de Sodome ne se sont pas contentés des filles de Loth ne vient pas du fait qu’ils n’avaient pas d’attirance pour les femmes, mais parce qu’ils leur incombaient à rendre justice. En effet, selon les lois de Sodome il était interdit d’accueillir des étrangers. Tout étranger qui se trouvait dans leur ville était condamné à subir ce genre de traitement. C’est pourquoi ils persistèrent à appliquer la loi plutôt que d’assouvir leur désir sexuel avec les filles de Loth. Nahmanide dans son commentaire (Genèse 19, 8) montre au contraire que l’attitude de Loth est encore plus condamnable que celle du vieillard dans le livre des Juges.
[13] Notons que le Talmud compte la sexualité comme un besoin vital au même titre que le manger et le boire (cf. entre autre Berachot 17, a). Cf. Maïmonide (Traité des Huit chapitres chap. 4 - édité à la fin du Guide des égarés Ed. Verdier).
[14] Cf. Zohar (I 128, b) : « R. Shimon dit : si l’inclinaison au mal n’existait pas on cesserait d’enfanter ».  
[15] Cf. Exode (21, 10).
[16] Igrot Moshé (Ora’h Haïm 4, 115).
[17] Cf. R. Juda Lewaï (1512-1609), le Maharal de Prague : « L’homosexualité est une chose indigne, même au regard de ce que font les animaux, ce vice équivaut à la non existence absolue. » (Beer Hagola (le puits de l'exil, sixième puits, 2).
[18] Cf. son commentaire sur la Mishna (chapitre X de Sanhédrin) en conclusion des treize principes de foi (Pour la traduction française, cf. Épîtres de Maïmonide, (Gallimard, 1993, p. 194), Mishneh Torah (fin des lois du meurtre).
[19] Ketoubot (37, b).
[20] Expression talmudique à l’endroit de celui qui renie les principes de la Torah (Haguiga 15 a).
[21] Cf. entre autres Sanhédrin (9, b) et les commentaires des Tossafot.